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livres Benjamin Loiseau - John Gelder Less is too much ?














L'argument

A travers un personnage comme Ludwig Mies van Der Rohe, acteur incontournable dans l'urbanisme du siècle dernier, le devoir de tout sociologue, éducateur, politique et, à plus forte raison, ici, architecte et paysagiste est de questionner sa responsabilité face aux évolutions qui agitent le monde. Une des principales consiste à prendre la mesure d'une réalité radicalement complexifiée, depuis les fameuses années 70, fondées sur un « Avenir Radieux », le progrès en toute chose. La fameuse « crise » que vit l'espèce issue du Néolithique – donc vous et nous auteurs complices – était inconcevable sérieusement, juste bon pour les diseurs de mauvaise aventure, les Cassandres. Or la réalité est bel et bien là : de quatre milliards d'habitants vers les années 50/60, nous sommes 7 milliards d'hominiens dont 75 % sont parqués dans les zones urbaines, gérés par les serviteurs du fameux et inévitable marché mondialisé. Avec les dangers d'autodestruction que tout responsable honnête sait, certes, mais peut-être avec une chance « mystérieuse » de trouver une issue « genre nouveau ». Les remarques sur la technique, la transparence et l'art urbanistique de L. Mies van der Rohe, un demi-siècle plus tard, ne pouvaient pas ne pas être posées.

L'extrait

Mies, Aix-la-Chapelle, 2011 « Pardonnez mes offenses, et que ceux qui veulent ou peuvent survivre dans les cités dortoirs que j'ai malencontreusement contribué à structurer réfléchissent avec ce qui leur reste de cerveau pour s'inventer une nouvelle fiction sacrée moins affolée que celle qui engloutit le monde, une fiction plus artisanale ! » « Oui, Je confesse ce rêve : qu'incapable de dire un art, de commettre une œuvre assez spirituelle, cette fuite dans la suite numérique est en train – ne sait-on jamais – d'arracher les masques de l'humain épuisé, le laissant nu au milieu de ses débris, obscène dans sa transparence. Et que, prenant conscience de cette obscénité, y retrouvant négativement son avidité de jouir et sa crainte de souffrir, les corps se mettraient à freiner des quatre fers ? Parti-pris ? Qu'il retrouverait en quelque sorte le corps à partir de l'inversion des valeurs issues de sa volonté de puissance technologique – la sphère originaire du sensible ? » « Pourtant j’y ai cru, car n’est-ce pas dans les régions les plus rudes, désertiques, vides que le mystère primitif, qui porte en lui toute sa naturelle empathie, s’exprime avec le plus d’acuité ? J’ai voulu élever notre niveau de conscience et de perception. J’ai voulu nous ouvrir, nous rendre présent à notre mystérieuse origine, à notre dasein. Je me suis complètement planté. Je voulais une spiritualité fondamentale et absolue, qui découle d’une base purement phénoménologique, c’était un peu trop en demander. Il doit y avoir dix personnes sur terre que ça intéresse toute cette histoire, et j’ai traumatisé tous les autres. Je suis de moins en moins certain que le less du "less is more" soit comme la somme des plus. Peu, n’est-ce pas trop finalement? Mon dieu, dites-moi, qu’en pensez-vous ? Less was too much? ».

 

 

La Préface

Transcendance de Mies Van de Rohe

Chaque fois que l’on me demande d’écrire la préface d’un ouvrage sur l’architecture, après avoir lu la motivation de l’auteur, je ne peux m’empêcher de me demander le pourquoi et le comment de cette désignation.

Aussi par voie de conséquence, je souhaite donner au lecteur quelques points d’histoire qui légitimeraient mon rôle d’introducteur du travail de Benjamin Loiseau et John Gelder.

En fait, il s’agit des deux projets que j’ai réalisés en 1959 et 1962 sous l’influence totale, par revue interposée, de Mies Van der Rohe.

Mais je préfère replacer à la fin de l’ouvrage après le « vrai-faux » testament, ces deux exemples qui symbolisent une des parties fondamentales du livre, celle de la nécessité absolue d’évolution de l’idée théorique de base lui permettant ainsi de survivre et de prospérer.

Mais revenons donc au livre. Avant tout, il faut féliciter les auteurs pour la qualité du travail d’archives, puis reconnaître la force de l’analyse qui, au lieu de se contenter des dates, creusent des sillons dans le récit des rencontres et des compétitions, particulièrement dans la richesse des contacts avec la pensée philosophique du moment en les inscrivant dans le déroulement du temps.

Même si cette situation alourdit un peu la lecture, elle l’éclaire tellement violemment que l’on voit les évènements plutôt qu’on ne les lit: on les vit.

A fortiori la même technique de compagnonnage entre architectes, qu’il soit en phase ou non, mis en parallèle avec l’histoire de l’architecture et l’évolution de la pensée en des termes souvent difficiles à cause de l’époque, enrichit encore le débat en nous donnant toutes les clés pour parvenir à ce testament final plus vrai que vrai, qui charrie des tonnes d’émotions diverses, qui nous prend aux tripes par la confession sans retenue d’un homme réputé intègre, éminent et responsable (comme il le regrette), de l’usage néfaste qu’ ont fait tous les architectes de son travail et ce dès l’affirmation de son autorité aux Amériques.

C’est là, je vous prie de m’en excuser, que se situe mon intervention personnelle, petite par rapport à l’œuvre de cet homme immense, mais significative au regard de certains points extrêmement violents, dans les regrets éternels et les excuses incroyables que les auteurs font prononcer à Mies.

En 1959, André Bloc, éditeur-créateur de la revue mondiale « L’Architecture d’Aujourd’hui » lui-même ingénieur, peintre et sculpteur, me propose de réaliser pour lui une petite maison sur des rochers au sommet du Cap d’Antibes. Après plusieurs esquisses audacieuses et refusées, la sentence est tombée ; Bloc, qui venait d’éditer un magnifique numéro spécial sur Mies Van de Rohe, Bloc, tétanisé pourrait-on dire par son propre travail d’éditeur, me dit : « Nous allons faire du Mies, mais en le renouvelant ! » Renouveler un tel maître, tout en gardant la discipline d’origine qui habitait tout son travail m’a semblé, sur le coup, dangereux, voire impossible et même inapproprié ! Cependant nous y sommes arrivés en intégrant deux ou trois éléments contradictoires qui au lieu de n’être que détails ou fantaisies, prenaient le pas sur l’expression d’ensemble et réactivaient l’héritage.

Trois ans après, nous renouvelions l’expérience, de façon bien plus lisible, avec « La Fondation Avicenne » à la Cité Internationale Universitaire de Paris, un bâtiment de dix étages suspendu à trois portiques impressionnants. Là aussi un « élément baroque », l’escalier détaché et décalé, prenait le pas sur la rigueur de Mies tout en conservant la discipline de l’ossature.

Il me faut préciser que cette contradiction interne volontaire, loin de créer désordre, incompréhension voire crime ou attentat à la pudeur architecturale a été saluée par les autorités de la Culture, par une inscription aux « Monuments Historiques ».

Voici ma justification à l’écriture de cette préface, car non seulement notre travail a été en quelque sorte sacralisé, mais bien parce que, ce faisant, ce travail ouvre une voie nouvelle en phase avec la pensée de Mies, celle qu’il voulait évolutive comme TOUT CE LIVRE LE PROUVE. Cet essai s’oppose à tous les théoriciens et critiques qui, en glorifiant Mies sans nuances, sans comprendre son appel à l’évolution, l’ont cadenassé pour la vie et pour l’au-delà.

Si on revient au livre de Benjamin Loiseau et de John Gelder, à chaque chapitre, à chaque page, on voit se débattre Mies avec ses confrères, avec les groupes modernes, avec le Bauhaus, avec tous les philosophes, et même avec les traces indélébiles de sa naissance, pour évoluer, pour aller au-delà de sa propre rigueur, pour changer de registre sur ce qu’on attend de lui.

Je suis fou de joie de l’éclat de son testament, de cette repentance vis-à-vis des gestes qui l’ont emprisonné et je me félicite d’avoir par deux fois avec André Bloc soulevé la pierre tombale et donné à Mies un tout petit peu de l’oxygène qu’il mérite.

Pourquoi écrire « Less is more » alors que les auteurs, avec un culot et un respect total, affirment qu’il faut pour contenter le Maitre, plutôt écrire : « Less is too much ! » ?

Claude Parent

1er Octobre 2011

 

Données techniques

Benjamin Loiseau
John Gelder
Less is too much ?
Vertige du vide chez Ludwig Mies van der Rohe et prolégomènes insurrectionnels urbains

Essai
Collection Portes
135 pages
Parution juin 2012
20 euros
ISBN : 978-2-919483-04-4



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